33 ÉVANOUISSEMENTS

D’après la création de Vsévolod Meyerhold (Moscou 1935)

Spectacle composé de trois pièces en un acte d’Anton Tchékhov :
La Fête de la banque, L’Ours, La Demande en mariage

 

Je n’aime pas le théâtre, j’en ai vite assez, mais j’aime voir des vaudevilles
Anton Tchékhov
Plus une comédie est drôle, plus il faut la jouer sérieusement
Vsévolod Meyerhold

 
meyerholdMoi devenir un auteur de vaudevilles populaires ? Oh là, vous m’avez flanqué un coup ! Cette exclamation de Tchékhov en dit long sur la façon dont il considère ses petites « plaisanteries » en un acte. Écrire ces « farces » semble le distraire ou l’occuper lorsqu’il s’ennuie.Quand je n’aurai plus d’inspiration, j’écrirai des vaudevilles et je vivrai grâce à eux. J’ai l’impression que je pourrais en écrire une centaine par an. Les sujets de vaudevilles jaillissent en moi comme le pétrole de Bakou.
 
On peut se demander légitimement, pourquoi Vsévolod Meyerhold, après avoir été l’interprète des « grandes pièces » de Tchékhov, après avoir mis en scène les œuvres majeures de Pouchkine, Gogol, Maiakovski et de tant d’autres poètes, décide de travailler ces petits vaudevilles que son ami qualifie lui-même de pas trop mauvais ?
 
En cette sinistre année 1935, peut-être éprouve-t-il la nécessité de travailler à de petites pièces, légères et drôles ? Lorsque les combats sont durs et violents, que la censure étouffe, que la peur épuise, l’idée même de l’évanouissement soulage les esprits et détend les corps.
 
Ce qui est enthousiasmant avec Meyerhold, c’est qu’il est « un faiseur de spectacle ». Il ne monte pas une pièce en un acte, mais trois, il ne se contente pas de mettre en scène La Fête de la banque, L’Ours et La Demande en mariage, mais écrit avec ces trois « farces » une nouvelle partition à jouer, inédite et rythmée par 33 Évanouissements. Ce qui est joyeux avec Meyerhold, c’est qu’il est toujours en mouvement et que rien n’arrête sa quête de liberté. En travaillant les trois vaudevilles de son ami Tchékhov, il n’hésite pas à ajouter dans chacune des pièces un nouveau personnage – L’Évanouissement – avec lequel les acteurs devront s’entendrent et jouer.
 
L’évanouissement n’est pas une maladie. C’est un état, une allure, le seul moyen de ne pas étouffer totalement, d’échapper à l’asphyxie. L’évanouissement révèle la tension nerveuse des héros et dit leur insatisfaction profonde à l’égard de la vie. Lorsque Tchékhov critique vertement « le siècle neurasthénique », le goût de la gloriole, la vantardise, les joies tout illusoires, Meyerhold met en lumière l’état physique défaillant des héros qui, en entrant constamment dans un état de catalepsie, ne cessent de s’évaporer, de s’éparpiller, de disparaître, de tomber, de s’évanouir…
 
Avec sa troupe de comédiens, Vsévolod compte 14 évanouissements dans La Fête de la banque, 8 dans L’Ours et 11 dans La Demande en mariage. Soit au total ; 33 Évanouissements…
 
La liberté avec laquelle Meyerhold sculpte ses mises en scène est contagieuse. C’est très librement que nous avons travaillé à recomposer cette partition, sans nous soucier de savoir où il avait placé précisément les évanouissements de chacun. C’est en faisant confiance au rythme et à l’écoute de ces corps évaporés, en transe ou en fuite que nous avons cadencé ces trois « farces » grotesques.
 
Ce qui est beau avec Meyerhold, c’est la simplicité et l’évidence de ses choix. Le secret de l’ennui, c’est de tout dire affirme-t-il. Faire s’évanouir les personnages de Tchékhov, c’est faire l’économie de discours inutiles, c’est donner corps à des personnages, c’est inviter les comédiens à mettre leur corps en jeu, c’est leur offrir sur un plateau l’espace physique. Enfin, si s’évanouir est une action simple, elle révèle avec force et instantanément, un état psychique et physique d’une très grande complexité.
 
Si l’évanouissement nous fait rire c’est parce que celui qui s’évanouit est toujours ridicule et grotesque. C’est aussi parce que la brièveté et la légèreté de l’action nous permettent de saisir immédiatement la gravité de la situation.
 
En nous faisant rire avec ses « farces », Tchékhov nous invite à passer à l’action. Il faut rire ! Rire, coûte que coûte, non des souffrances qu’endurent nos contemporains mais de leur très grande capacité et aptitude à ne pas parvenir à changer la vie. Tant que ce rire résonne, la misère, l’ignorance, la lâcheté, l’injustice ne peuvent triompher totalement. Et puisqu’il faut impérativement changer la vie, il faut se moquer et rire de tout ce qui nous empêche de le faire ! L’injustice n’a que faire des larmes ! Il faut rire, à la face de ce monde tragique pour nous rappeler que l’Histoire n’est pas terminée. Rire de ces héros souffrants, de leur incapacité à faire, de leurs « évanouissements » répétés pour qu’enfin ce monde puisse être construit. Le sort tragique de ces personnages qui courent à leur perte n’est qu’une farce !
 
La mort, le suicide, la déchéance des héros, les âmes malheureuses et les corps oisifs peuvent entrer au magasin des accessoires comiques. Reste une vieille société russe finissante et de très joyeuses perspectives !
Pierre Hoden
 
 

Mise en scène : Pierre Hoden
Assistante : Marine Billon
Traduction : Catherine Hoden
Lumière : Jacques Rouveyrollis
Décor : Milos Trifunovic
Avec : Nathalie Bernas, Laetitia Besson, Katell Borvon, Seda Dolbachian, Philippe Houriet, Pierre Hoden, Roger Souza,
Paulina Enriquez, Anne Mourier
Production: Théâtre Gérard-Philipe, Compagnie Les Affranchis, Conseil Général de Seine-Saint-Denis

 

Création en mai 2007 au Théâtre Gérard-Philippe-Centre dramatique national de Saint-Denis

 
 

Re-création en mars 2009

Nouvelle distribution : Katell Borvon, Catherine Vuillez, François Lescurat, Philippe Houriet, Pierre Hoden

 

Création au Fanal-scène nationale de Saint-Nazaire
Reprise en avril 2009 au Centre d’Art et de Culture de Meudon