A TABLE !
D’après Grand-peur et misère du IIIe Reich de Bertolt Brecht
« L’erreur est complète quand les théâtres professionnels se ferment au théâtre amateur. Et l’erreur est complète quand le théâtre amateur se ferme au théâtre professionnel. Le théâtre amateur a pris un nouveau sens, et le théâtre professionnel aussi. Je suis pour que les meilleurs comédiens des théâtres professionnels non seulement enseignent mais jouent également dans des groupes d’amateurs. Et les meilleurs comédiens des groupes devraient avoir la possibilité de se produire dans les théâtres. »
B. Brecht
1938, Brecht est en exil depuis 5 ans. Il écrit Grand-peur et misère du IIIe Reich. Face à son pays contaminé par le nazisme, Brecht dresse son théâtre et nous rend compte du quotidien des Allemands sous la dictature du « peintre en bâtiment ». Brecht se rit de la « grandeur » du mal et de l’irrésistible attrait de la force démoniaque. En intellectuel, il cherche au nazisme d’autres explications. En sociologue, il examine les phénomènes de peur et de replis qui contaminent avec fulgurance toute la société allemande. En philosophe, il pose des questions : « Comment veut-on dire la vérité sur le fascisme, que l’on refuse, si l’on ne veut rien dire contre le capitalisme qui l’engendre ? ». Avec humour et précision, le poète met à distance l’Allemagne d’Adolphe Hitler et l’examine.
Entre 1938 et 1939, l’œuvre sera représentée à Paris, Londres, Stockholm et New York. Elle était bien souvent interprétée par des groupes mixtes qui mêlaient des compatriotes exilés, acteurs (Helen Weigel) et « non acteurs ».
A Table ! examine les racines du cancer nazi qui pourraient se trouver dans l’Europe colonialiste, eugéniste et raciste du XIXe siècle, dans une Europe libérale qui pratique le « racisme de classe ». A Table ! interroge également les persistances contemporaines du national socialisme.
J’ai travaillé à partir des travaux de Gustave Le Bon, Georges Vacher de Lapouge, Arthur de Gobineau, théoriciens eugénistes et racistes du 19e siècle. J’ai composé une brève histoire des Krupp, patrons de la sidérurgie allemande, impliqués dans l’accession au pouvoir d’Hitler. Histoire qui retrace leur rôle déterminant au sein du IIIe Reich et met en lumière l’impunité dont ils ont joui après-guerre.
C’est dans l’acte théâtral lui-même que s’inscrit ce laboratoire. Les comédiens, en smoking, pieds nus, réunis autour d’une longue table de banquet passent d’un rôle à l’autre, sont tour à tour les accusateurs, les témoins, et les juges. Pour que l’expérience fonctionne, il s’agit d’être à la juste place qui se trouve entre l’interprétation des situations et la distance critique que l’on prend à leur égard.
Sur scène, la musique est live, c’est une partenaire, un contrepoint, un outil de distanciation, en dialogue avec le plateau.
À Table ! a été crée dans le cadre du festival « Les Humanités », organisé par le Quartz, scène nationale de Brest. Nous avons réuni une équipe d’artistes amateurs et professionnels et travaillé ensemble durant 3 mois. Notre principe de répétition est de proposer aux artistes amateurs un temps différent de celui des ateliers hebdomadaires. Nous travaillons les week-ends, permettant ainsi aux comédiens de s’immerger, de faire l’expérience de la durée, source de concentration nécessaire à l’acteur. Nous menons un travail exigeant qui nécessite du temps et de l’investissement. Notre travail porte cette idée : le théâtre ne se consomme pas, il se travaille et se fabrique. Nous questionnons la position de l’acteur, celle du spectateur et expérimentons la pratique collective de l’art. Il s’agit de développer un point de vue, d’aiguiser un regard critique. Les répétitions de A Table ! furent un lieu de poétique civique où artistes amateurs et professionnels se sont emparés de questions historiques, politiques et philosophiques.
Parallèlement, le travail du jeu de l’acteur concentre toute notre attention et se trouve au cœur de la création. Considérer le comédien comme un athlète, lui permettre d’identifier sa position : j’interprète une œuvre, je développe un point de vue et je la livre au spectateur. Car il s’agit comme le dit Brecht de développer, en synergie, en deux arts : l’art dramatique et l’art du spectateur.
La présence d’artistes professionnels, sur le plateau, est la traduction pratique et concrète d’une pratique collective de l’art au sein de laquelle ces artistes tiennent la place de capitaines d’équipe qui donnent le « la ». C’est en décloisonnant les pratiques que nous enrichissons chacune d’elles. La présence d’artistes amateurs et professionnels ne se contredisent pas, elles s’accordent pour trouver un fonctionnement propre. Que de cette rencontre et des expériences de chacun naisse un spectacle qui soit l’écho de cette pratique. Pour les artistes amateurs, la fréquentation, dans le travail, de comédiens qui possèdent parfaitement leur art est une formidable source d’apprentissages et d’inspiration.
Katell Borvon
Mise en scène : Katell Borvon
Direction des comédiens : Katell Borvon et Pierre Hoden
Avec les comédiens Pierre Hoden, Laurence Landry et les artistes amateurs :
Pierre-François Aribaud, Olivier Asseman, Béatrice Breton, Fathia Zoubiri, Amélie Du Payrat, Chloé Gatineau, Elyse Godineau, Lili Le Vourch, Rosmarie Nouhaud-Heim, Catherine Pascal, Elora Paya, Benjamin Piolot, Jean-Baptiste Pressac, Brendan Riou.
Lumière : Jacques Rouveyrollis
Production: La Maison du Théâtre- Brest. Compagnie Les Affranchis
Création dans le cadre du festival « Les Humanités », Le Quartz, scène nationale de Brest